CUPRINS nr. 129-130

ARHIVA

Tranziţia: recapitulări şi transformări


Minorités revisitées
Constructions stato-nationales et parcours identitaires
chez les Hongrois de Roumanie et les Turcs de Bulgarie
 

ANTONELA CAPELLE-POGACEAN et
Nadège RAGARU

In this article the authors try to realize a comparative analysis between the historical trajectories of the Hungarian minorities in Romania and Turks minorities in Bulgaria, in the communist period, in order to identify a series of politicizing conditions of allegiance (affiliation to) which are responsible, in their opinion, for the ethnic division in these countries. During the time, they consider the approach of the minorities problem was linear and in terms of deterministic history. The comparison they propose is going to permit the rethinking of the concept of minority, too.

Keywords: ethnic politics; ethnic policies; ethnic cleavage;
identity discourse, integration vs. assimilation etc.

 

Il n’est pas rare que la création de partis minoritaires à l’Est après 1989 soit interprétée comme le produit d’un «réveil» identitaire après le «gel» de la question nationale par les régimes communistes1. Entreprendre une comparaison entre les trajectoires historiques des minorités magyare en Roumanie et turque en Bulgarie au-delà même de la période communiste, s’intéresser aux conditions de politisation des appartenances en Bulgarie et en Roumanie et aux formes revêtues par les mises en débat public des identités dans le contexte de la formation des États nationaux vise à interroger ces approches marquées par une lecture trop linéaire et déterministe de l’histoire. Cette prise en compte du temps moyen invite à ne pas occulter la dimension performative du discours identitaire, tout en la problématisant. Peu de travaux consacrés aux ethnic politics et ethnic policies du point de vue d’une compréhension des chances de radicalisation ou d’accommodement des demandes minoritaires dans les divided societies2le font. Ceux-ci envisagent en effet les formations minoritaires comme traduisant des clivages «ethniques» préexistants3, opposant des «majorités» et des «minorités» souvent essentialisées. Or, l’ethnicité n’est guère une substance, comme le montrait récemment Rogers Brubaker, mais «une perspective sur le monde»4, activée dans certaines conditions. Les clivages ne sont pas donnés une fois pour toutes, les lignes de démarcation étant sans cesse chargées de nouvelles significations et de nouveaux contenus, en fonction des contextes politiques et socio-économiques.

Comparer la trajectoire historique des Turcs de Bulgarie et des Hongrois de Roumanie permet également de repenser le concept de «minorité». Ce dernier renvoie certes à une logique stato-nationale qui se déploie sur le continent européen à partir des dernières décennies du XIXe siècle, mais il fait également l’objet d’investissements locaux qui lui donnent, d’un espace à l’autre, ses couleurs particulières. Que l’on considère la place des Turcs de Bulgarie et des Hongrois de Roumanie dans leurs sociétés respectives, le positionnement des «minorités majoritaires» par rapport aux autres minorités ou encore le mode de cristallisation du «clivage ethnique» (la foi musulmane participe de la construction de «l’étrangeté» des Turcs de Bulgarie beaucoup plus que le catholicisme et le protestantisme des Magyars en Roumanie, par exemple), on observe de nombreuses différences. Elles renvoient à des constructions stato-nationales distinctes et éclairent des rapports particuliers des groupes minoritaires à la «mère patrie». Elles ont pour contrepoint l’obtention d’une gamme de droits spécifique à chaque communauté avant 1989 et définissent le champ des possibles en termes de demandes minoritaires après la chute du régime communiste.

De l’ordre impérial à l’ordre stato-national

La concurrence des appartenances: islam et identification turque laïque

Comme sur les autres terres balkaniques, la présence de communautés musulmanes en Bulgarie résulte principalement d’une intégration à l’Empire ottoman longue de cinq siècles (1396-1878)5. La centralité accordée à la Bulgarie dans le dispositif sécuritaire ottoman, sa proximité avec Constantinople, favorisent alors l’installation de colons turcs. Des considérations stratégiques entraînent une forte concentration de populations turques le long de la rivière Marica (qui conduisait d’Andrinople/Edirne à Belgrade), dans la région de Šumen (alors une forteresse contrôlant l’accès à Silistra, le long du Danube), autour de Razgrad (ancienne forteresse romaine), ainsi que dans les Rhodopes orientales (autour de Kărdžali). Singulièrement à partir du XVIIème siècle, les conversions - dont les origines et modalités restent controversées dans les milieux historiographiques bulgares6 - constituent la seconde modalité d’extension de l’islam en Bulgarie.

Le passage de l’Empire ottoman, plurinational, à un Etat national bulgare entraîne une transformation profonde des rapports démographiques et sociaux. Jusque vers le milieu du XIXème siècle, en effet, sur le territoire de ce qui deviendra ultérieurement la Bulgarie, les élites militaires et administratives et la majorité des grands propriétaires terriens sont musulmans/ottomans. Au sein d’une société culturellement très diversifiée, les Grecs - présents dans les villes de Thrace et des bords de la mer Noire - occupent par ailleurs les positions d’élites marchandes, culturelles et religieuses. Ce n’est qu’à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle que commencent à se former de petites élites commerçantes bulgares, d’ailleurs souvent hellénisées. Localement, des figures de notables émergent, qui se recrutent notamment parmi les commerçants, les artisans et les čorbadži (intermédiaires entre le pouvoir ottoman et les populations locales). Mais, dans l’ensemble, le tissu social bulgare reste dominé par des paysans qui cultivent les terres de domaines musulmans ou possèdent, surtout à partir du milieu du XIXème siècle, des propriétés de superficie généralement modeste. La guerre russo-ottomane de 1877-1878 et la création d’une Principauté bulgare viennent bouleverser ces échelles sociales et symboliques: sous l’effet des violences intenses qui accompagnent le conflit7 et devant la perte de leur ancien statut, la plupart des élites administratives, militaires et économiques musulmanes (turques, mais aussi tatares et tcherkesses) quittent la Principauté pour se replier sur les régions demeurées sous le contrôle de l’Empire. Les départs affectent également la province de Roumélie orientale, restée temporairement sous la protection de la Porte. En pourcentage, le poids démographique des musulmans chute brutalement: estimé entre un tiers et la moitié de la population en 18778, il n’est plus que de 28,79% en 1881, 21,44% en 1887 et 17,18% en 19009. Autrefois membres de la société et de la culture dominantes, les communautés islamiques se retrouvent ainsi placées dans une situation doublement minoritaire - sur les plans démographique et socioculturel. D’autant que la réduction de la présence musulmane dans les villes, entamée dès 1877-1878, se poursuit entre les deux guerres mondiales. En 1920, les Turcs n’occupent plus que 7,3% de l’habitat urbain (6,2% en 1926 et 5,8% en 1934). La communauté présente alors un profil essentiellement rural, paysan et faiblement éduqué10. Jusqu’en 1923, le mode d’administration des minorités musulmanes retenu sous les pressions des grands États européens et de l’Empire ottoman repose en outre sur le maintien du millet11. Le grand mufti et les muftis de région assument un rôle-pivot dans l’administration de communautés musulmanes faiblement intégrées à la société majoritaire; par-delà les questions confessionnelles, ils endossent certaines prérogatives précédemment dévolues aux cadres administratifs de l’Empire (en matière d’éducation) et aux kadis (dans la justice)12. Assuré sur une base privée, quasiment sans soutien financier de l’État13, l’enseignement en langue turque est de faible qualité. Jusqu’en 1920, aucun institut de formation des enseignants n’existe en Bulgarie: le Traité de Constantinople de 1909 avait prévu l’ouverture d’un tel établissement, ainsi que d’une medresse (destinée à l’enseignement des sciences islamiques), mais l’éclatement des guerres balkaniques, puis de la première Guerre mondiale, retardera le projet. En 1894-1895, 703 des 1 500 enseignants recensés dans les écoles privées musulmanes n’ont pas poursuivi leur propre formation au-delà de l’école primaire14. Les établissements privés fournissent un enseignement principalement religieux, à l’exception de rares collèges (rüsdiye) localisés dans les villes. Le pays ne compte, avant 1918, aucun lycée privé musulman/turc.

L’exode des élites urbaines, l’emprise des responsables religieux traditionnels et le maintien dans une certaine marginalité sociale des musulmans/Turcs (encouragé par les autorités bulgares) constituent des variables essentielles pour comprendre la faible capacité des minorités à formuler des demandes dans l’espace public15 et, surtout, la lente acclimatation du principe (ethno)-national au sein de groupes qui s’étaient longtemps identifiés selon un principe religieux. Autrement dit, et le point est important pour comprendre la nature des relations entre majorité et minorités en Bulgarie: c’est alors même qu’ils sont déjà en situation minoritaire que les «Turcs de Bulgarie» vont se constituer comme Turcs16. Il faut attendre la fin des années 1920 pour qu’émerge, principalement dans le nord-est de la Bulgarie (régions de Varna, Šumen et Ruse), une petite intelligentsia turque issue des milieux enseignants et journalistiques et convertie aux idées du kémalisme. L’un de ses vecteurs est l’organisation séculière, Turan, créée en 1926 comme association culturelle et sportive, mais aspirant à représenter politiquement une communauté turque définie comme minorité nationale. Les élites turques de Bulgarie apparaissent toutefois divisées, certains responsables religieux redoutant l’influence du kémalisme sur les musulmans de Bulgarie et s’organisant, avec le soutien appuyé des pouvoirs publics bulgares, dans des institutions comme l’Association des défenseurs de l’islam en Bulgarie (créée en 1931). Après le coup d’Etat de mai 1934, qui porte au pouvoir un régime autoritaire un an avant que le roi Boris III n’impose une dictature personnelle, tous les partis politiques sont interdits, une mesure qui touche également l’organisation Turan et met un terme brutal aux tentatives de mobilisations sociales et politiques turques de l’entre-deux-guerres. A aucun moment, les Turcs et musulmans de Bulgarie ne parviendront ainsi, avant l’époque communiste, à se doter de leur propre parti politique. Ils constituent certes une clientèle électorale courtisée au moment des scrutins (le suffrage universel est introduit en 1879 pour les hommes): des alliances conjoncturelles sont alors scellées entre les représentants des élites musulmanes-turques locales et les partis de gouvernement17. En échange de leur soutien, des notables sont élus sur les listes des partis «généralistes». Mais leur représentation numérique et leur influence politique restent insuffisantes pour mettre à l’agenda des mesures concernant les communautés musulmanes18.

Enfin, le rôle de «protecteur» des minorités musulmanes dévolu à l’Empire ottoman puis à la Turquie reste circonscrit: jusqu’en 1923, son principal canal d’influence concerne l’élection des muftis (qui, en vertu des traités de Constantinople - 1909 - et de Bucarest -1913-, doit être approuvée par le Sheih ul Islam, l’autorité religieuse suprême de l’Empire ottoman) ; il disparaît avec l’abolition du Califat et la création d’un État turc moderne19. Par surcroît, dans les années 1920-1930, la priorité de Mustafa Kemal, engagé dans une ambitieuse entreprise de transformation de la Turquie, va à l’entretien de relations de bon voisinage avec les États balkaniques20. La question de la minorité turque occupe dès lors une part modeste dans les relations bilatérales bulgaro-turques, les demandes officielles turques se limitant, pour l’essentiel, au remplacement de l’alphabet arabe par l’alphabet latin21. Plus fondamentalement, jamais les terres des Rhodopes ou de Dobrudža n’occuperont dans l’imaginaire national turc la place de la Transylvanie dans les lectures de la nation en Hongrie. La construction stato-nationale de la Turquie kémaliste s’opère à travers une prise de distance complexe par rapport à l’héritage ottoman. La Turquie moderne, qui s’ancre en Anatolie, n’érige pas les anciennes terres ottomanes des Balkans en haut lieu symbolique de l’imaginaire national à reconquérir22. Les relations entre Turcs de Bulgarie et Kin-state n’ont pas l’intensité de celles tissées entre Magyars de Roumanie et Hongrie.

Minorité malgré elle: institutions et discours identitaires magyars

Liée au même passage de l’ordre impérial à l’ordre étatique moderne, la trajectoire des Magyars de Roumanie reflète plus que celle des Musulmans/Turcs de Bulgarie la rivalité de deux entreprises de construction nationale. Elle se cristallise autour d’un territoire, la Transylvanie, qui occupe une place centrale dans les deux imaginaires nationaux. En 1867, au moment de la transformation de l’Empire des Habsbourg en Monarchie bicéphale austro-hongroise, celle-ci cesse de constituer une entité politique à part, province historique de la Couronne. Malgré l’opposition des élites nationalistes roumaines, elle est rattachée à l’État hongrois semi-autonome, régi par le principe national dont la force structurante refaçonne progressivement les univers symboliques et les pratiques sociales. Une nouvelle redéfinition des frontières étatiques intervient en 1918-1920, à la fin de la Première guerre mondiale, au profit de la Roumanie cette fois-ci23. Elle renverse les rapports de force à l’échelle de l’espace transylvain: les Hongrois, auparavant minoritaires sur le plan démographique24, mais dominant l’ordre politique et socioculturel, perdent la position de «nation titulaire» occupée depuis 1867 et se retrouvent en situation de «minorité nationale ». Le profil identitaire de cette dernière s’ébauche dans un champ d’interactions qui impliquent l’«État roumain nationalisant», la Hongrie «patrie externe» révisionniste et les élites magyares de Roumanie25. Il emprunte en même temps à un réservoir de représentations historiques cristallisées tant à l’époque de l’autonomie médiévale de la Transylvanie qu’à l’âge des nations modernes.

Vécu comme l’effondrement d’un monde, côté hongrois, comme l’accomplissement du projet national, côté roumain, le changement des frontières suscite des déplacements de population qui – contrairement au départ des musulmans/Turcs de Bulgarie, étalé sur plusieurs décennies -, interviennent surtout dans l’immédiat après-guerres26. Entre 1918 et 1922, 197 000 Magyars de Transylvanie27 s’installent en Hongrie et soutiennent, à l’instar des autres déplacés des États successeurs (quelque 350 000 en tout), ses projets révisionnistes les plus radicaux. Socialement circonscrites, ces migrations affectent les grands propriétaires terriens issus de l’aristocratie, touchés par la réforme agraire de 1921, et leurs employés. Elles concernent en outre les groupes sociaux liés à l’Etat-nation: militaires, fonctionnaires de l’administration, de la justice, une partie du personnel enseignant, les étudiants de l’Université de Cluj/Kolozsvár, entrée dès 1919 sous contrôle roumain. Tout en affaiblissant les positions économiques et démographiques des Magyars en Transylvanie, ces déplacements ne modifient pas radicalement la cartographie du peuplement hongrois concentré sur la frontière avec la Hongrie et au centre de la Roumanie. Ils n’entraînent pas non plus la disparition des catégories urbanisées et des élites historiques.

La fragilisation de ces dernières est certes visée par les politiques de «roumanisation» adoptées au nom d’un État qui compte désormais 30% de minorités (dont 7,9% de Hongrois) et dont les frontières sont contestées. Mais, nonobstant ces politiques de centralisation et d’homogénéisation culturelle, les grandes villes transylvaines gardent leur caractère hongrois entre les deux guerres28, et les Magyars (ainsi que les juifs hungarophones), plus urbanisés que les Roumains29, préservent des positions importantes dans le secteur privé, les banques, les commerces, les industries. Ils parviennent à soutenir une vie culturelle et associative qui se diversifie. Entre 25 et 30 quotidiens de diverses orientations politiques animent l’espace public minoritaire. Le système d’éducation constitué autour des Églises magyares assure la socialisation identitaire et encadre la reproduction élitaire. Autonome vis-à-vis de l’éducation publique, ce réseau couvre tous les échelons compris entre l’école élémentaire et le lycée30.

Surplombant ces structures communautaires, le Parti hongrois de Roumanie (OMP) créé en 1922, prend progressivement place sur une scène partisane en réorganisation complète après la constitution de la Grande Roumanie et l’adoption du suffrage universel (1919). Accueilli avec moult réticences, il se fait accepter grâce notamment aux coalitions électorales nouées en 1923 et 1926 avec des formations «majoritaires» du «Vieux Royaume», soucieuses d’élargir leur influence à la Transylvanie. Parvenant à capter, selon les estimations, les voix d’un tiers de la population hongroise31, l’OMP est représenté jusqu’en 1938 au parlement, dans les conseils locaux et les mairies transylvaines. Ses dirigeants sont issus des anciens cadres politico-administratifs de l’État hongrois, recrutés après 1867 surtout au sein des élites historiques (l’aristocratie et la gentry). Connectés par maints liens (notamment familiaux) aux groupes chrétiens-conservateurs au pouvoir en Hongrie, ils dominent le jeu politique magyar de Roumanie jusqu’en 193832. L’émergence au cours des années 1920 et 1930 de plusieurs formations éphémères issues d’une gauche divisée entre marxistes et non-marxistes témoigne de la diversité idéologique au sein des milieux élitaires hongrois.

Conservateur sur le plan social, défensif et légaliste sur le plan «identitaire-minoritaire», l’OMP espère une révision des frontières étatiques avec soutien extérieur (hongrois surtout) et se fixe en attendant comme priorité la préservation des positions socio-économiques magyares et des institutions traditionnelles de la minorité. Le cadre institutionnel mobilisé est celui de l’autonomie (territoriale pour les zones de peuplement hongrois compact et culturelle), à l’origine de tant de débats dans la Monarchie austro-hongroise. Après l’adoption de la nouvelle Constitution roumaine en 1923, laquelle pose le caractère unitaire de l’État, le Parti hongrois revendique – sans plus de succès – l’adoption d’une loi sur les minorités qui garantisse l’égalité en droit, l’usage de la langue maternelle, la représentation proportionnelle au parlement, l’égalité des écoles, etc. Dans l’arène internationale, la Ligue des nations est saisie à trente-quatre reprises par les représentants des Magyars de Transylvanie qui dénoncent le non respect du Traité sur les minorités signé par la Roumanie en 1919 et les discriminations les touchant, surtout dans l’application de la réforme agraire et dans le domaine de l’éducation.

En 1938, la mise en place de la dictature royale de Carol II reconfigure le système politique sur des bases corporatistes. L’institutionnalisation de l’ethnicité n’en est pas pour autant entravée: le Front de la Renaissance nationale qui remplace les partis dissous, accueille les nouvelles organisations minoritaires allemande et magyare. Le Groupe ethnique hongrois y prend place jusqu’en juin 1940 lorsque le Front est supprimé. Issus d’une génération désormais socialisée dans le cadre étatique roumain, ses leaders abandonnent la conception de l’enclave à préserver en l’état, portée par les conservateurs. Ils promeuvent la réforme de la communauté minoritaire, étendue à la paysannerie, acteur politique depuis l’adoption du suffrage universel, et aux catégories ouvrières social-démocrates que l’OMP avait échoué à intégrer. Si l’Église et l’école restent les deux institutions centrales de la «survie» identitaire, la diversification du tissu communautaire autour d’un réseau dense d’organisations économiques, sociales, culturelles, indépendantes de l’État, est censée conforter l’ancrage magyar et promouvoir l’«auto-construction» d’une «minorité» capable de résister par ses propres forces au projet stato-national roumain.

Cette redéfinition du projet politique emprunte à un récit identitaire qui gagne en visibilité entre les deux guerres. Des intellectuels critiques vis-à-vis des élites historiques proposent une nouvelle interprétation, volontariste, de la condition minoritaire: celle-ci devient une épreuve qui permet de convertir les contraintes en opportunités de réforme morale et sociale33. Cette relecture délégitime l’émigration vers la Hongrie, perçue comme un abandon. Prêtres, enseignants, journalistes, écrivains sont appelés à témoigner et à assumer le destin de la communauté. Leurs définitions, diverses, du «peuple» croisent des références à l’exclusion sociale, au statut paysan affaibli par la crise de 1929, pour se déplacer dans la seconde moitié des années 1930, vers la valorisation ethno-culturelle, voire raciale, d’un groupe qui serait le dépositaire le plus authentique de l’identité magyare34. Par delà les différences idéologiques, l’autonomie nationale demeure l’horizon partagé par les élites minoritaires35.

Enfin, le positionnement de la Hongrie dont le profil de «patrie externe» est nettement plus marqué que celui de la Turquie kémaliste, favorise également la politisation de l’identité magyare dans le nouvel État roumain. Le régime conservateur, national-chrétien de Miklós Horthy cultive sur le plan intérieur la croyance en la «résurrection nationale»36, en la révision des frontières, objectif ouvertement assumé sur la scène internationale à partir de 1928. L’idéologie nationale redéfinie après Trianon valorise la Transylvanie qui abrite la population magyare la plus importante. Des responsables politiques, à commencer par le comte István Bethlen, Premier ministre entre 1921-1931, sont issus de l’aristocratie transylvaine. Dès le début des années 1920, l’on assiste ainsi à la mise en place de structures gouvernementales semi-secrètes visant à soutenir financièrement les Églises magyares de Transylvanie, les institutions culturelles, la presse. La formation de nouvelles élites culturelles est encouragée, leurs représentants étant accueillis en Hongrie, intégrés dans les milieux culturels et académiques, familiarisés avec les objectifs révisionnistes hongrois37. Ces derniers se réalisent partiellement à la faveur de la redéfinition des rapports de force sur la scène européenne entre 1938 et 1940. La Transylvanie de nord réintègre les frontières de la Hongrie entre 1940 et 1944.

Les expériences des régimes communistes: entre intégration (dans l’ordre communiste) et assimilation (à l’ordre national)

En Bulgarie comme en Roumanie, la période communiste est à l’origine de mutations complexes dans les trajectoires sociales et identitaires des minorités, tout particulièrement la composition de leurs élites, les constructions politiques et idéologiques des enjeux minoritaires par le pouvoir et les politiques mises en œuvre aux fins de favoriser une intégration des groupes minoritaires à l’ordre socialiste naissant. Grossièrement, trois phases peuvent être retenues dans les gestions publiques des minorités: la première va de l’installation des pouvoirs communistes jusque vers la fin des années 1950. Elle correspond à la fois à un moment d’incitation à la rupture avec les politiques des anciens États «bourgeois» dans un contexte cependant marqué par une répression politique et des bouleversements socio-économiques qui touchent tous les segments des populations bulgares et roumaines (étatisation des moyens de production, collectivisation des terres, etc.); la seconde époque apparaît indécise dans la mesure où elle mêle une certaine libéralisation politique, des mutations socio-économiques ayant, parfois (notamment en Bulgarie) des répercussions positives sur les minorités et une réémergence des registres de mobilisation nationaliste à des fins de légitimation politique. Plus distincte est en revanche, dans les deux cas bulgare et roumain, l’accentuation de la logique nationaliste et répressive dans les années 1980 au fur et à mesure que des régimes et élites communistes en fin de trajectoire tentent de maximiser leurs chances de survie en politique.

Quand le régime communiste produit et aliène des élites turques

En Bulgarie, si les décennies postérieures à l’indépendance de 1878 ont amorcé un basculement d’une vision principalement religieuse de l’identité héritée de l’Empire ottomane vers une lecture valorisant les composantes ethniques et linguistiques de l’appartenance, c’est paradoxalement le régime communiste qui va mener à terme le processus de construction d’une identification ethnique turque au sein des communautés musulmanes turcophones de Bulgarie. Par-delà ses inflexions temporelles, la politique des minorités du régime communiste apparaît sous-tendue par un projet modernisateur devant permettre l’émancipation des minorités par rapport à la confession musulmane (jugée synonyme d’arriération)38 et leur intégration progressive dans une nation bulgare ralliée au projet de construction d’un «homme socialiste nouveau». Cette modernisation unificatrice, les dirigeants bulgares vont tour à tour tenter de la mettre en œuvre par des mesures d’incitation, par des pressions à l’émigration39 et par la répression. A cet égard, une césure chronologique peut être repérée en 1956 (Plénum d’avril) et, surtout, en 1958 avec l’adoption des «Thèses pour le travail au sein de la population turque» par le Comité central du Parti communiste: il n’est plus question, comme en 1944, de dénoncer la politique répressive de l’ancien pouvoir bourgeois et d’appeler au développement des droits des minorités. Le document dénonce les «manifestations de nationalisme et de fanatisme religieux» chez les Turcs bulgares et invite à lutter contre le nationalisme turc. Le nouvel idéal, mononational, suppose l’assimilation des minorités ethniques autant que religieuses40. Pendant les années soixante, la méthode choisie est plutôt non violente, si l’on excepte la tentative de changement des noms pomaks au début de la décennie. Elle s’appuie sur une propagande distillée dans toutes les sphères de la société, depuis les écoles du Parti jusqu’aux entreprises, et relayée par une presse régionale en langue turque. À partir de la décennie suivante, alors que le nationalisme bulgare fait un retour remarqué dans l’idéologie officielle (singulièrement au moment de la préparation du 1300ème anniversaire de la fondation d’un État bulgare en 681), c’est au moyen d’une répression croissante que l’homogénéité sera recherchée pour culminer avec la bulgarisation forcée de quelque 800 000 Turcs entre 1984 et 1989.

Les effets de la politique communiste des minorités sur la structuration sociale de la communauté turque, les rapports entre les Turcs et les autres communautés de confession musulmane, l’insertion des Turcs dans l’ordre politique bulgare et les relations avec la Turquie sont néanmoins pluraux et parfois contradictoires: dès la seconde moitié des années 1940 des voies de mobilité sociale sans précédent sont ouvertes aux membres des communautés turques et musulmanes de Bulgarie à travers les campagnes de lutte contre l’illettrisme, la généralisation de l’accès à l’enseignement secondaire41, l’introduction de quotas pour les minorités à l’université (dès 1947)42 et l’ouverture d’instituts pédagogiques pour la formation des enseignants en langue turque43. En parallèle, jusqu’à la fin des années 1950, l’État encourage le développement de la culture turque (théâtre, presse nationale et régionale, festivals de musique…)44: il s’agit, selon le modèle soviétique, de produire une pensée «nationale dans la forme, socialiste par le contenu». Dans une certaine mesure, cette politique est couronnée de succès puisque l’on observe bientôt l’émergence d’une intelligentsia turque, active dans les milieux enseignants, culturels et journalistiques, et pour l’essentiel acquise à la cause communiste. Les nouvelles élites turques sont d’ailleurs progressivement cooptées au sein du Parti communiste et du Front de la patrie (FP), de la nomenklatura locale (voire régionale) et dans l’appareil d’État45.

Mais cette transformation affecte inégalement les communautés turques et musulmanes, lesquelles connaissent une processus de dualisation distinguant une petite minorité d’élites intellectuelles, culturelles et administratives d’une majorité agricole et/ou ouvrière. Elle ne parvient pas non plus à prévenir «un ancrage des différences ethniques dans les structures économiques-territoriales» (Dia Anagnostou). Du point de vue des autorités communistes, le rapprochement entre majorité bulgare et minorités passe en effet par un rattrapage économique et social des régions à peuplement minoritaire: dans ce cadre, le PCB adopte plusieurs programmes d’aide au développement des Rhodopes et du Nord-Est (Silistra, Razgrad, Šumen, Tărgovište) en encourageant l’installation d’industries (agroalimentaires, textiles, chimiques, etc.) dans les municipalités semi-périphériques à population turque ou pomaque. Cette modernisation économique rencontre cependant deux limites: premièrement, après la nationalisation forcée des terres (vivement contestée dans les villages turcs où elle ne sera achevée qu’en 1958), la politique de développement communiste s’accompagne d’une polarisation grandissante entre des villes où affluent des Bulgares orthodoxes attirés par l’industrialisation et des campagnes à fort peuplement minoritaire. En 1989, la part des citadins n’est que de 37,1% chez les Turcs, alors qu’elle représente 74,0% des Bulgares «ethniques»46. Se renforce ainsi le rôle des Turcs dans l’agriculture (la culture du tabac, du blé, l’élevage), la construction et d’autres formes de travail manuel (voir tableau 1). Deuxièmement, le mode d’industrialisation promu dans les régions à peuplement minoritaire place les Turcs dans une situation de forte dépendance, pour l’emploi, par rapport aux centres urbains régionaux (qu’alimentent les usines périphériques des municipalités turques) où domine l’élément bulgare47. Dans le secteur agricole, comme dans l’industrie, le niveau de qualification des minorités reste par ailleurs inférieur à la moyenne (voir tableau 2).

Tableau 1

La structure de l’emploi dans les milieux ruraux en 1986 en fonction de la langue parlée (en %)

Branche de l’économie

Turc

Romani

Panel de 4 350 foyers ruraux

Industrie

15,4

6,9

16,2

Construction

4,5

3,1

3,6

Agriculture

41,7

27,7

27,3

Commerce

2,3

3,1

3,1

Services

4,4

1,9

5,3

Science et culture

0,2

0,0

0,4

Gouvernement

1,3

0,6

2,7

Transport

2,7

2,5

2,9

Secteur privé

0,4

1,3

0,5

Retraité

27,0

52,8

38,0

 

Source: d’après Institut de sociologie bulgare, 1986, cité dans Mieke Meurs, «Imagined and Imagining Equality in East Central Europe. Gender and Ethnic Differences in the Economic Transformation in Bulgaria», in: John Pickles and Adrian Smith (eds.). Theorising Transition..., op.cit., p.333.

Tableau 2

Niveau de qualification en fonction de la langue parlée en 1986 (en %)

 

Turc

Romani

Panel de 4 350 foyers ruraux

Industrie

Bas

Moyen

Haut

 

18,2

19,3

1,3

 

13,8

13,2

0,6

 

16,9

22,0

2,1

Agriculture

Bas

Moyen

Haut

 

19,2

6,1

1,3

 

56,0

10,1

0,0

 

39,9

7,9

0,8

Service

Bas

Moyen

Haut

 

1,4

2,7

0,5

 

0,0

5,7

0,6

 

2,7

6,3

1,3

Total

Bas

Moyen

Haut

 

68,8

28,1

3,1

 

69,8

29,0

1,2

 

59,5

36,2

4,2

Source: op.cit.

Au final, le pouvoir communiste forme néanmoins les élites en mesure d’élaborer une réflexion sur l’identité des communautés turques et fournit le registre (ethnique) dans lequel cette énonciation pourrait prendre place. Tant que le régime favorise la relativisation des allégeances religieuses, la participation au projet modernisateur et l’insertion des minorités à la société dominante par des moyens incitatifs, elle parvient à s’assurer la loyauté de maints cadres turcs (à l’instar des intellectuels Süleyman Gavazov, Ibrahim Tatarlă, Mustafa Mjusjulmanov ou Ahmed Arunov). Du moment où Todor Jivkov durcit les pressions assimilatrices et tente de procéder à une bulgarisation forcée des Turcs (1984-1989), il s’aliène le soutien de la nomenklatura turque, renverse les processus identitaires à l’œuvre et ouvre la voie à une politisation de l’ethnicité. Pour reprendre la formule de Dia Anagnostou, «tandis que le socialisme d’État a consolidé la formation d’une minorité turque ethnique territorialement concentrée, la campagne d’assimilation l’a radicalisée et politisée»48.

Lancé en décembre 1984, le processus dit de «Renaissance nationale» (văzroditelen proces) intervient sur la base d’une relecture de l’ethnogenèse des Turcs de Bulgarie, désormais présentés comme des Bulgares islamisés et turcisés de force pendant l’ère ottomane et dont les descendants souhaiteraient redécouvrir leur appartenance bulgare: en l’espace de quatre mois, quelque 800 000 Turcs bulgares voient leurs patronymes turco-arabes slavisés sous la contrainte49. Ceux qui résistent sont envoyés en camp d’internement, leurs familles menacées de représailles. En outre, le pouvoir réprime toute expression d’appartenance distinctive: l’usage du turc dans l’espace public, le port des vêtements traditionnels, la célébration des fêtes musulmanes, les rites matrimoniaux et funéraires, la circoncision50. Plusieurs mosquées sont détruites et des cimetières musulmans profanés51. Menée avec le soutien de la milice et de l’armée, l’opération fait plusieurs dizaines de victimes. Ses origines restent aujourd’hui encore débattues. Faut-il l’imputer à une volonté d’accélérer l’unification nationale alors que le dynamisme démographique des Turcs inquiète ? A la peur que la Turquie, membre de l’OTAN, construite en ennemi par excellence, ne reproduise le «scénario» de Chypre en se servant des Turcs de Bulgarie comme d’une cinquième colonne ? Ou encore à un effort pour détourner l’attention publique de la crise politique et économique aiguë que traverse le régime ? Toujours est-il que l’assimilation forcée suscite l’émergence d’une opposition turque, en partie organisée et de mouvements sociaux qui contribuent à précipiter la chute du régime communiste.

En mai 1989, de jeunes organisations des droits de l’homme organisent manifestations et grèves de la faim dans les régions turques et musulmanes du Nord-est du pays et des Rhodopes. Le régime se réfugie alors dans la répression (internement, expulsion des leaders de la mobilisation), avant que le chef de l’État, Todor Jivkov, n’annonce à la télévision, le 29 mai, que les «Bulgares musulmans» désireux de quitter le pays sont libres de partir. Présentée comme une concession à la communauté internationale (qui milite en faveur de la liberté de circulation dans le cadre du processus d’Helsinki), cette mesure, applicable aux seuls Turcs, a des répercussions non anticipées52. Dès le lendemain, les services de passeports sont submergés de demandes. Ils le resteront jusqu’à ce que la Turquie, dont les capacités d’accueil sont saturées, décide de fermer ses frontières, le 21 août 1989. Entre-temps, 320 000 Turcs bulgares auront quitté la Bulgarie dans un climat de psychose alimenté par la propagande du régime, les pressions de la milice et celles des services de renseignement53.

La place mouvante des Hongrois dans l’ordre communiste roumain

En Roumanie, l’avènement du régime communiste bouleverse l’ensemble des paramètres de la configuration minoritaire hongroise, telle que cristallisée entre les deux guerres. La nationalisation des industries et des banques (1948) et la collectivisation de l’agriculture (1949-1962) détruisent les bourgeoises industrielles et financières et les propriétaires terriens, soit des groupes qui présentaient en Transylvanie une composante magyare significative, active dans les tribunes de l’identité. Les institutions identitaires - en particulier les écoles confessionnelles - passent sous administration de l’État, les marges de manœuvre des Églises dont les propriétés sont confisquées, rétrécissent considérablement. Participant de la consolidation du nouvel ordre, ces transformations ne ciblent pas les populations magyares. Elles remodèlent toutefois le tissu social de la minorité – homogénéisée d’un point de vue économique - et déplacent les lieux et les enjeux des proclamations identitaires.

Vaincue au sortir de la guerre, refluée dans ses frontières de 1920, la Hongrie - qui retrouve au sein du camp communiste la plupart des États voisins hébergeant des populations magyares - change également de posture. Au nom de la rupture avec le nationalisme pré-communiste, le révisionnisme territorial est banni de son agenda de politique externe et les minorités cessent de constituer une priorité. La dimension nationale de la révolution de 1956 interdit par la suite le recours au répertoire historique du nationalisme à des fins de légitimation politique. Installé au pouvoir par les chars soviétiques, le régime Kádár entretient avec les autorités roumaines - qui l’avaient soutenu en 195654 - des relations placées sous le signe d’une «fraternité socialiste» imposée. La référence aux Magyars ressurgit toutefois dans l’espace public hongrois dans les années 1970. Les minorités sont représentées en «pont» reliant les États qui les hébergent et la Hongrie dont elles partagent la culture55. Les relations avec la Roumanie se dégradent, elles, sensiblement dans la seconde moitié des années 1980 lorsque les autorités de Budapest réactualisent la posture de Kin-State et relaient, notamment devant l’ONU et le CSCE, les critiques formulées dans les milieux intellectuels et des dissidents contre le régime Ceauşescu et son traitement discriminateur des Magyars.

La gestion par le régime communiste roumain de la «question magyare» connaît elle-même des redéfinitions influencées tant par les évolutions internes que par les circonstances internationales. Située pendant le déploiement du pouvoir communiste (1944-1948) et sa consolidation stalinienne (années 1950) dans une logique de rupture avec l’ordre «bourgeois, nationaliste», elle favorise l’intégration des Hongrois dans l’ordre socialiste sur une base collective et encourage l’émergence de nouvelles élites minoritaires socialisées dans des institutions magyares. Après une période de libéralisation dans les années 1960 aux effets ambigus sur les politiques à l’égard des «nationalités», les deux décennies suivantes voient le renforcement d’une dynamique qui travaille à l’effacement des différences socioculturelles (et ethnoculturelles) au sein de la «société socialiste multilatéralement développée». Le registre nationaliste est réinvesti par les dirigeants communistes roumains à des fins de contrôle idéologique de la population.

Plusieurs innovations illustrent l’approche «intégrationniste». Avant même la mise en place du premier gouvernement pro-communiste (le 6 mars 1945), une «loi sur les nationalités» est adoptée le 7 février 1945 qui proclame leur égalité en droit, officialise l’usage de la langue maternelle dans l’administration et la justice, garantit l’éducation en langue maternelle à tous les niveaux, etc. L’ouverture à Cluj, en 1946, de deux universités, l’une hongroise (Bolyai) et l’autre roumaine (Babeş) s’inscrit dans cette même démarche. Rendues possibles par un contexte spécifique (sort incertain de la Transylvanie du Nord jusqu’à la signature du traité de Paris le 10 février 1947, présence des troupes soviétiques, etc.), ces mesures sont négociées par l’Alliance populaire hongroise, créée en 1944 par des sociaux-démocrates et des communistes internationalistes et qui bénéficie d’un soutien massif parmi les Magyars56. Au sortir de la guerre, le clivage gauche-droite s’enrichit en Transylvanie d’une coloration «ethno-nationale»: la première séduit la population minoritaire tant par ses promesses sociales que par la proclamation de la rupture avec l’idéologie de la Grande Roumanie57. L’Alliance populaire est néanmoins «satellisée» par le Parti ouvrier roumain en 1948 et fondue à celui-ci en 1953.

La création de la Région autonome magyare (RAM) en 1952 apparaît davantage comme l’effet de l’«exportation» de la gestion stalinienne des nationalités, passant par la territorialisation de l’ethnicité. Elle contribue néanmoins à la redéfinition de la géographie symbolique de la minorité et de sa marqueterie identitaire. La communauté compacte magyare-sicule58, très majoritairement rurale, déployée au centre de la Roumanie, dans une région montagneuse, accède à une reconnaissance symbolique devenant « la nation titulaire» (77,32% de la population) à l’échelle de la région. Elle représente un peu plus d’un tiers de la population hongroise de Roumanie. Au sein des populations sicules qui cultivent le souvenir du retour à la «mère-patrie» entre 1940 et 1944, la région autonome entretient dans les années 1950 l’illusion d’une «petite Hongrie stalinienne». Malgré le caractère limité de son autonomie dans un système politique très centralisé59, elle favorise la promotion de cadres magyars et la cristallisation d’une nouvelle intelligentsia d’origine rurale, elle contribue également à la croissance rapide d’un nouveau centre urbain magyar, Tîrgu-Mureş, rival de Cluj. Les deux villes connaissent néanmoins un processus de «roumanisation» de la population, à la faveur notamment de l’industrialisation. Plus généralement, le poids des Hongrois dans la population urbaine transylvaine diminue considérablement pendant la période communiste60.

Cette approche des «nationalités» connaît des révisions à la fin des années 1950, dans le contexte de la «déstalinisation»/«roumanisation» du leadership communiste, sous l’effet aussi des enseignements de la révolution hongroise de 1956 et de ses échos dans les milieux magyars de Roumanie (allant des projets de réforme du système communiste à des mobilisations irrédentistes)61. En 1959, les deux universités hongroise et roumaine de Cluj sont réunies au sein d’un établissement bilingue. La mesure marque le début du rétrécissement du système éducationnel hongrois62. Un an plus tard, les frontières de la région autonome sont redéfinies de façon à réduire le poids des Magyars passé de 77,3% à 61%.

L’élection en 1965 de Nicolae Ceauşescu à la tête du Parti communiste enclenche une phase de libéralisation ambiguë. Les Magyars n’obtiennent pas l’adoption d’une nouvelle loi des nationalités, ni la création d’un grand département hongrois à la place de la région autonome supprimée par la réforme administrative de 1968 qui remplace les 16 régions par 40 départements. Les «terres sicules» sont partagées entre trois entités, dont deux (Harghita et Covasna) sont néanmoins à majorité hongroise (plus de 75% de la population). En outre, les figures les plus connues de l’intelligentsia minoritaire sont cooptées en 1968 dans le nouveau Conseil des travailleurs de nationalité hongroise. Censé contribuer avec son équivalent allemand à la définition des politiques à l’égard des nationalités, celui-ci est rapidement marginalisé. L’intelligentsia minoritaire salue également la création de plusieurs institutions culturelles, tant au niveau central (maison d’édition, nouvel hebdomadaire culturel, etc.), qu’au niveau local (studios locaux de radio). Mais celles-ci s’étiolent dans les années 1980, lorsqu’elles ne sont pas supprimées. Le régime promeut désormais le projet de la nation socialiste homogène. Les opportunités d’éducation en hongrois déclinent d’une manière spectaculaire et les établissements magyars, pour certains datant du XVIIIe siècle, sont transformés en établissements bilingues. L’usage du hongrois dans l’espace public est entravé. Les départements sicules qui avaient connu dans les années 1970 une industrialisation accélérée, intégrant les populations locales dans des dynamiques de mobilité sociale, subissent de plein fouet le tarissement des ressources, réorientées vers le remboursement de la dette extérieure. Qui plus est, les cadres magyars de l’administration locale promus lors de la réforme de 1968 sont remplacés par des cadres roumains63.

Dans ces conditions, le retour de la Hongrie qui épaule dans la seconde moitié des années 1980 la cause magyare contribue à une revalorisation du lien avec le Kin-State, allant de pair avec la dégradation des rapports interétatiques entre la Hongrie et la Roumanie. Les manifestations organisées à Budapest en 1988 avec l’accord des autorités, pour protester contre la destruction des villages transylvains dans le cadre des projets de systématisation du territoire - projets que l’on interprète en Hongrie comme visant à effacer les traces du passé magyar de la province -, entraîne en guise de protestation, du côté roumain, la fermeture du consulat hongrois de Cluj. Le contraste qui se renforce entre l’image internationale de la Hongrie - «baraque la plus gaie du camp communiste» - et celle de la Roumanie, en proie à la pénurie généralisée sous la férule d’un Ubu roi, contribue au renforcement de l’identification minoritaire. Après les migrations juives (années 1950) et allemandes (à partir des années 1970)64, qui homogénéisent fortement les appartenances à l’intérieur de l’État roumain et enferment dès lors la relation Etat-minorités dans le registre roumano-hongrois, l’émigration des Magyars de Transylvanie (notamment des diplômés) vers la Hongrie s’accélère d’une manière spectaculaire à partir de 1987, avec quelque 15 000 départs par an65. Dans les milieux de l’intelligentsia magyare marginalisée, fût-elle formée par le régime ou héritière des anciennes élites, ce contexte favorise l’émergence d’une nouvelle idéologie minoritaire qui propose une interprétation du communisme roumain exclusivement en termes de répression anti-hongroise66 et une relecture victimisante du passé communautaire dans l’État roumain depuis Trianon. Elles facilitent la mobilisation collective à la chute du régime Ceauşescu.

***

Ni reveil, ni ligne droite d’une histoire qui se poursuivrait, la politisation de l’ethnicité participe de dynamiques plus larges de définitions et de redéfinitions des ordres politiques et sociaux. En Bulgarie et en Roumanie elle n’apparaît guère, après 1989, comme le surgissement d’une affirmation identitaire interdite par le communisme. Ce dernier donne lui-même à voir, tant en Bulgarie qu’en Roumanie, des tournants qui reconfigurent la place de l’ethnicité dans les sociétés locales. En Bulgarie la création d’un parti minoritaire est sans précédent et ne peut se prévaloir d’une tradition historique dans laquelle les élites turques de Bulgarie viendraient puiser. La formation du Mouvement des droits et libertés (MDL) constitue avant tout le produit d’une politisation de l’ethnicité provoquée par l’assimilation brutale des années 1980: à l’opposé du projet initial, cette dernière réactive l’appartenance identitaire turque et lui confère le caractère d’un enjeu politique ; en parallèle, la bulgarisation forcée provoque l’aliénation d’élites turques longtemps loyales à un Parti communiste à qui elles devaient leur promotion sociale. Elle fournit ainsi les cadres d’un investissement partisan autonome.

En revanche, la création de l’Union démocratique des Magyars de Roumanie ne manque pas de précédents. Dans les dernières décennies du XIXe siècle, le registre partisan était déjà investi par des acteurs identitaires de la Monarchie austro-hongroise, notamment par des entrepreneurs roumains de Transylvanie. Après le rattachement de la province à la Roumanie, de nouvelles organisations politiques hongroises, allemandes et juives, voient le jour. L’Alliance populaire hongroise, d’obédience communiste, joue quant à elle un rôle important au moment de l’installation du nouveau régime en 1945-1947. Pour ancienne qu’elle soit, cette politisation du clivage ethnique ne fonctionne pas d’une manière linéaire. Elle se renouvelle, notamment pendant la période communiste. Après avoir formé de nouvelles élites minoritaires, socialisées dans des institutions de langue hongroise appelées à diffuser les nouvelles valeurs communistes, le régime roumain se «nationalise», avec une radicalisation de la tendance dans les années 1980. Les frustrations des élites magyares sont d’autant plus vives que la situation politique et économique locale ne cesse de se dégrader. Elle s’améliore en revanche dans la Hongrie voisine, au statut international rehaussé par les politiques «libérales» du régime Kádár. Dans la seconde moitié des années 1980, ce dernier porte dans l’arène internationale la question de la minorité magyare de Roumanie et des discriminations qu’elle subit, suscitant, côté roumain, la réactivation du thème de l’irrédentisme hongrois. Ce durcissement de l’enjeu politique autour de l’identité magyare va nourrir après la chute du régime communiste la mobilisation minoritaire.

 

NOTE
1  D. Anagnostou a contesté l’hypothèse d’un «réveil national» post-communiste dans Dia Anagnostou, «Nationalist Legacies and European Trajectories: Post-communist Liberalization and Turkish Minority Politics in Bulgaria», Southeast European and Black Sea Studies, 5(1), 2005, pp. 89-111.
2  Telle est, par exemple, la démarche suivie par Antoine Roger lorsqu’il compare les trajectoires de l’UDMR (représentant la com munauté magyare) en Roumanie et du MDL (représentant la communauté turque) en Bulgarie à partir d’une analyse critique des travaux de Stein Rokkan sur les clivages centre-périphérie et sur la capacité des partis « ethniques» à institutionnaliser et à « diffuser» les conflits entre centre et périphérie. Voir Antoine Roger, «Economic Development and Positioning of Ethnic Political Parties: Comparing post-Communist Bulgaria and Romania», Southeast European Politics, 3(1), juin 2002, pp.20-42.
3   Pour une lecture critique de cette approche, voir Zsuzsa Csergö, «Beyond Ethnic Division: Majority-Minority Debate About the Postcommunist State in Romania and Slovakia», East European Politics and Societies, 16, 1, 2002, pp.1-29; Kanchan Chandra, «Ethnic Parties and Democratic Stability », Perspectives on Politics, 3(2), June 2005, pp.235-252.
4  Rogers Brubaker, Margit Feischmidt, Jon Fox, Liana Grancea, Nationalist Politics and Everyday Ethnicity in a Transylvanian Town, Princeton: Princeton University Press, 2006.
5  Avant même l’établissement d’une présence ottomane, deux phases migratoires turciques ont concerné les Balkans, la première entre le IIIème et le IXème siècle, la seconde pendant la période byzantine (1018-1185).
6  Voir Maria Todorova. «Lična, kolektivna i profesionalna pamet: isljamizacijata kato motiv v bălgarskata istoriografija, literatura i kino» [Mémoire personnelle, collective et professionnelle: l’islamisation comme motif dans l’historiographie, la littérature et le cinéma bulgares]. Kritika i humanizăm, 12(3), 2001: p.7-30 ; Antonina Želiazkova, «Formirane na mjusulmanskite obšnosti i kompleksite na balkanskite istoriografii» [Formation des communautés musulmanes et les complexes des historiographies balkaniques]. In: Antonina Želiazkova (dir.). Mjusulmanskite obšnosti na Balkanite i v Bălgarija [Les communautés musulmanes dans les Balkans et en Bulgarie]. Sofia: Imir, 1997, p.11-56 ; Machiel Kiel. «La diffusion de l’islam dans les campagnes bulgares à l’époque ottomane (XVè-XIXè siècles)». Revue d’étude du monde musulman et de la Méditerranée, 66 (4), 1992: p.39-53.
7  Selon les données fournies par Bernard Lory, la guerre aurait provoqué une vague de 130-150 000 réfugiés, dont environ la moitié seraient rentrés en Bulgarie après la fin du conflit. Certaines sources turques avancent des chiffres sensiblement plus élevés en termes de pertes humaines (100 000 victimes directes selon Ömer Turan, 500 000 victimes directes et indirectes d’après Bilâl Şimşir) et de réfugiés (plus de 500 000 pour Ömer Turan). Voir Bernard Lory, Le sort de l’héritage ottoman en Bulgarie. L‘exemple des villes bulgares: 1878-1900, Istanbul: ISIS Press, 1985, p.43; Bilâl Şimşir, The Turks of Bulgaria (1878-1985), Londres, K. Rustem & Brothers Publications, 1988, p.5 et Ömer Turan, The Turkish Minority in Bulgaria, 1878-1908, Ankara, Türk Tarih Kurumu Basimevi, 1998, p.145.
8  Pour une fourchette basse, voir Richard Crampton, «The Turks of Bulgaria, 1878-1944», in: Kemal Karpat (ed.), The Turks of Bulgaria. The History, Culture and Political Fate of a Minority, Istanbul, Isis Press, 1990, p.43-78. Pour une fourchette haute, voir Bilâl Şimşir, The Turks of Bulgaria, op. cit., p.143; Ömer Turan. The Turkish Minority in Bulgaria, op. cit., p.98.
9  Chiffres des recensements officiels bulgares (critère religieux). Cf. http://www.nsi.bg/Census/Census.htm et, pour les résultats de 1881, Žoržeta Nazărska, Bălgarskata dăržava i nejnite malcinstva, 1879-1885 [L’Etat bulgare et ses minorités, 1879-1885], Sofia: Lik, 1999, p.7.
10  Les anciennes élites marchandes et culturelles grecques connaîtront pour leur part une lente perte d’influence socio-économique, accompagnée de départs vers la Grèce et, pour ceux qui sont restés, d’une progressive acculturation.
11  Voir Ömer Turan, The Turkish Minority in Bulgaria, 1878-1908, Ankara, Türk Tarih Kurumu Basimevi, 1998, chapitre 6 ; Žoržeta Nazărska, Bălgarskata dăržava i nejnite malcinstva, 1879-1885 [L’Etat bulgare et ses minorités, 1879-1885], Sofia, Lik, 1999; Richard Crampton, «The Turks of Bulgaria, 1878-1944», in: Kemal Karpat (ed.), The Turks of Bulgaria. The History, Culture and Political Fate of a Minority, Istanbul, Isis Press, 1990, pp.43-78.
12  Cette autonomie dans la gestion des affaires religieuses n’empêche pas l’État bulgare d’exercer, à travers le ministère des Affaires étrangères et des Cultes, une influence sur le clergé musulman, salarisé et dépendant. Ce contrôle sera renforcé avec l’adoption du Statut sur l’organisation spirituelle et l’administration des musulmans dans le Royaume de Bulgarie (26 juin 1919), puis à l’issue des coups d’État de 1923 et de 1934. Cf. Bulgarian Helsinki Committee, The Human Rights of Muslims in Law and Politics since 1878, Sofia, BHC, 2003, pp.11-17; Ömer Turan, op. cit., chapitre 5.
13  Les salaires des enseignants turcs sont sensiblement inférieurs à ceux de leurs homologues bulgares, tout comme les dépenses moyennes par élève. Voir Wolfgang Höpken, «From Religious Identity to Ethnic Mobilization: The Turks of Bulgaria Before, Under and Since Communism», in: Hugh Poulton and Suha Taji-Farouki (eds.), Muslim Identity and the Balkan State, London: Hurst and Co, 1997, p.56.
14  550 sont diplômés de medresse ; aucun n’a reçu d’enseignement supérieur. Chiffres issus d’une enquête réalisée par les pouvoirs publics bulgares et citée dans Bilâl Şimşir, The Turks of Bulgaria, op. cit., p.24.
15  L’Union des enseignants musulmans (Bulgaristan Muallimin-I Islamiye Dzhemiyeti) fondée en 1897 jouera un rôle notable dans l’émergence de ces élites enseignantes. Toutefois, jusque dans l’entre-deux-guerres, les conditions de vie difficiles encouragent l’émigration vers la Turquie d’une frange des enseignants, aggravant le déficit élitaire. Entre 1978 et 1908, on estime à 50 le nombre des journaux en langue turque (à l’existence souvent brève). Cf. Ömer Turan, ibid., p.245.
16  Le contraste est ici sensible avec la situation des Grecs et leurs relations avec les Bulgares à partir des années 1840: une partie des mobilisations nationales bulgares naissant en effet sous l’influence, puis en opposition par rapport au nationalisme grec. Entrepreneurs identitaires bulgares et grecs se heurtent ainsi sur la définition de l’appartenance des populations en Bulgarie (au milieu du XIXème siècle), mais surtout en Macédoine (à partir de la fin du XIXème). A bien des égards, d’ailleurs, la situation des minorités grecques en Bulgarie après 1878 apparaît plus défavorable que celles des musulmans.
17  Cf. Yonca Köksal, «Struggle to Define the Nation: Ethnic Politics in Bulgaria and Turkey», The Oxford Symposium on (Trans)nationalism in South East Europe, St Antony’s College, University of Oxford, 17-19 juin 2005, à l’adresse: http://www.sant.ox.ac.uk/esc/esc-lectures/koksal.pdf [consultée le 19 décembre 2006]
18  L’Assemblée nationale élue en 1923 compte 10 députés turcs, 5 en 1925 et 4 en 1933. Cf. Valeri Stojanov, Turskoto naselenie meždu poljusite na ethničeskata politika [La population turque entre les pôles de la politique ethnique], Sofia, Lik, 1998, p.270.
19  Voir Bilâl Şimşir, op. cit., pp.290-302.
20  La Bulgarie et la Turquie signent ainsi, le 18 octobre 1925, un accord de bon voisinage, dans lequel les deux États s’engagent à respecter les droits de leurs minorités respectives et à ne pas entraver les flux migratoires.
21  Cette réforme avait été introduite en Turquie en 1928. En Bulgarie, après une première tentative infructueuse (1928-1934), l’alphabet latin sera finalement adopté en 1938.
22 Voir, à ce sujet, Erol Ülker, «Empires and Nation-Building: Russification and Turkification Compared», Master of Arts, Central European University (CEU), 2004 ; Feroz Ahmad, The Making of Modern Turkey, London: Routledge, 1993 (esp. chapitre 3, «From Empire to Nation, 1908-1923», pp.31-51) ; Justin McCarthy, The Ottoman Peoples and the End of Empire, London: Arnold, 2001.
23  Par le traité de Trianon (4 juin 1920), la Hongrie perd deux tiers de son territoire – principalement au profit de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie, du Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes – et 57% de sa population. 3,2 millions de Hongrois découvrent le statut minoritaire dans les États successeurs, la moitié d’entre eux en Roumanie. Se retrouvant à la fin de la guerre dans le camp des puissances victorieuses, celle-ci double quant à elle son territoire et sa population. Cf. Irina Livezeanu, Cultural Politics in Greater Romania. Regionalism, Nation Building and Ethnic Struggle, 1918-1930, Ithaca, Cornell University Press, 1995, pp.8-11; Ignác Romsics, Magyarország Története a XX. Században [L’histoire de la Hongrie au XXe siècle], Budapest, Éditions Osiris, 1999, pp.143-145.
24  Selon le critère de la langue utilisé par le recensement hongrois de 1910, sur les 5 263 602 d’habitants de la Transylvanie, 53,8% sont roumains, 31,6% sont hongrois, 10,7% sont allemands, 3,5% juifs. Cf. Irina Livezeanu, op.cit. p.135. A l’échelle de la Hongrie, en 1910, les Hongrois représentent 54,5% de la population, selon le même critère de la langue. Cf. Ignác Romsics, op.cit., p.186.
25  Cf. Rogers Brubaker, Nationalism reframed. Nationhood and the national question in the New Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 1996.
26  Cf. Rogers Brubaker, « L’éclatement des peuples à la chute des empires. Approche historique et comparative», Actes de la recherche en sciences sociales, 98, juin 1993, p.7.
27  Cf. Irina Livezeanu, op.cit, p.137.
28  En 1930, les Hongrois représentent 37,9% de la population urbaine transylvaine et dominent les grands centres, les Roumains, déployés surtout dans les villes petites et moyennes, comptent pour 35% des urbains. Cf. Ibid., p.135.
29  26,9% de la population magyare de Transylvanie est urbaine, ce taux s’élevant à 10,4% chez les Roumains.
30  Cf. Julia Balogh, «Viaţa culturalǎ în Transilvania 1918-1940», in: Nándor Bárdi (ed.), Transilvania văzută în publicistica istorică maghiară, Miercurea-Ciuc, Editions Pro-Print, 1999, p.337.
31  Nándor Bárdi, «Választások a két világháború közti romániai magyar kisebbségpolitikában» [Changements dans la politique de la minorité hongroise de Roumanie entre les deux guerres], Magyar Kisebbség, http://www.hhrf.org/magyarkisebbseg/0004/m000405.html [consultée le 10 janvier 2007]
32  Nándor Bárdi, art.cit. ; Nándor Bárdi, «Generation Groups in the History of Hungarian Minority Elites», Regio [Budapest], 3, 2005, pp.109-124.
33  Péter Cseke, Gusztáv Molnár [ed.], Nem lehet: A kisebbségi sors vitája [Ce n’est pas possible. Le débat sur le destin minoritaire], Budapest, Editions Héttorony, 1989.
34  Zsuzsanna Török, «Planning the National Minority: Strategies of the Journal Hitel in Romania, 1935-1944 », Nationalism & Ethnic Politics, 7 (2), été 2001, pp.57-74.
35 Cf. Nándor Bárdi, «A szupremácia és az önrendelkezés igénye. Javaslatok, tervek, az erdélyi kérdés rendezésére (1918–1940)», in: Források és stratégiák [Ressources et stratégies], Csíkszereda [Miercurea-Ciuc], Éditions Pro-Print, 1999, pp.29-113.
36  A titre d’exemple, on peut rappeler ce «credo» répété tous les jours par les élèves des écoles hongroises: «Je crois en un seul Dieu, je crois en une seule patrie, je crois à la vérité éternelle de Dieu, je crois à la résurrection de la Hongrie». Cf. Ignác Romsics, op.cit, p.179.
37  Cf. Nándor Bárdi, « A ‘Keleti Akció’: A romániai magyar intézmények anyaországi támogatása az 1920-as években » [L’”Action vers l’Est”: le soutien des institution hongroises de Roumanie par la nation-mère dans les années 1920], in: László Diószegi, Zoltan Fejös (eds.), Magyarságkutatás 1995-1996, Budapest, Osiris, 1996, pp. 143-190; Zsuzsanna Török, art.cit.
38  L’étatisation des établissements scolaires privés musulmans en 1946 traduit cette approche. La mise sous tutelle de l’Église musulmane s’opère, elle, en plusieurs étapes. Bien qu’elle reconnaisse la liberté de conscience et de confession, la loi sur les Cultes adoptée le 17 février 1949 place celles-ci sous la dépendance du ministère des Affaires étrangères, dont l’approbation conditionne l’obtention de la personnalité juridique. Le ministère dispose d’un droit de regard sur l’organisation, le financement et la gestion du personnel religieux. Par ailleurs, les écoles coraniques sont fermées en 1949 et l’enseignement confessionnel interdit dans les établissements publics à partir de 1952. Notons que cette politique étatique envers l’islam s’inscrit dans une dénonciation générale de la religion par les pouvoirs communistes qui touche également la communauté catholique de Bulgarie et (de manière moins univoque) l’Eglise orthodoxe. Cf. Nadège Ragaru, «Quel islam en Bulgarie post-communiste?», Archives des sciences sociales des religions, 115, juillet-septembre 2001, pp.128-142.
39  Entre novembre 1950 et novembre 1951, environ 154 000 Turcs bulgares sont ainsi expulsés vers la Turquie. Cette décision s’explique dans un contexte de résistance des populations rurales musulmanes à la collectivisation des terres lancée en 1947-48, d’une part, et de dégradation des relations bilatérales bulgaro-turques en ce début de guerre froide, d’autre part. Cf. Wolfgang Höpken, «Im schatten der nationalen Frage: Die bulgarisch-turkischen Beziehungen», Südosteuropa, 36, 1987, p.95 ; Huey Louis Kostanick, Turkish Resettlement of Bulgarian Turks, 1950-1953, Berkeley, University of California Press, 1957. Entre le 22 mars 1968 (signature d’un accord bilatéral venant réguler les flux migratoires) et le 30 novembre 1978 (expiration de l’accord), plus de 114 000 Turcs de Bulgarie rejoindront la Turquie, essentiellement au titre du regroupement familial. Cf. Ali Eminov, op. cit., p.79.
40  Cette réorientation de la politique nationale explique la fusion des établissements turcs et bulgares décidée le 21 juin 1958. Remplacé par le bulgare pour l’enseignement des principales matières à la rentrée scolaire 1959, le turc subsiste seulement en cours de langue, tout en voyant sa place dans les curricula progressivement décroître. Les pouvoirs publics limitent également les contacts - linguistiques ou autres - entre les communautés turques et musulmanes de Bulgarie et la Turquie.
41  La loi sur l’éducation populaire amendée le 27 septembre 1946 reconnaît aux minorités le droit de recevoir un enseignement dans leur langue maternelle au sein d’écoles publiques subventionnées par l’Etat (art.154); elle rend l’éducation obligatoire et gratuite pour les enfants de 7 à 15 ans (art.157). En vertu d’un décret de juillet 1952, des sections réservées aux enseignants turcs sont créées dans plusieurs départements de l’université de Sofia (philosophie, histoire, philologie, physiques, mathématiques). Un département de turcologie est par ailleurs fondé à Sofia en 1954 où enseignent des figures comme Hussein Mahmudov, Gălăb Gălăbov, Riza Mollov et Georg Hazay. Voir Bulgarian Helsinki Committee, op.cit., p.46 et V. Stojanov, op. cit., p.98, 120, 121.
42  Ces mesures ne s’appliquent d’ailleurs pas aux seuls Turcs de Bulgarie. Pour l’année scolaire 1948/1949, sur décision du Comité central du Parti communiste un système de bourses est mis en place à destination des «jeunes des Rhodopes» (soit des Pomaks) admis au lycée et dans des établissements supérieurs. Cf. ibid., p.47.
43  En août 1951, deux écoles pédagogiques sont ouvertes à Kărdžali et à Razgrad pour compléter l’offre de formation des instituteurs et professeurs turcs existant à Stara Zagora depuis 1947. Voir Wolfgang Höpken, op.cit., p.255, 262, 269.
44  En 1951-1952 sont inaugurés des théâtres en langue turque à Haskovo et Šumen ; en 1954, à Kărdžali, Razgrad et Ruse. La presse régionale turque connaît un vif développement après 1952 et jusqu’en 1959 (date de la fermeture de plusieurs éditions régionales), puis de nouveau au milieu des années 1960. La magazine Yeni hayat (Nouvelle vie) est fondé en 1954 sous la direction éditoriale d’Ibrahim Tatarlă (Tatarliev) et de Mehmed Bejtulov. Cf. V. Stojanov, op. cit., p.119.
45  En 1961, on compte ainsi 113 872 Turcs membres du Front de la patrie (FP), 16 031 dans le Parti communiste (PCB) et 67 568 dans d’autres organisations liées au Komsomol. En outre, 15 454 Turcs travaillent à divers niveaux dans les comités du Parti, du FP et du Komsomol. Cf. Valeri Stojanov, op. cit., p.122. En 1962, le PCB revendique 528 674 membres. Cf. John Bell, The Bulgarian Communist Party from Blagoev to Zhivkov, Stanford: Hoover Institution Press, 1986, p.131.
46 Cf. Nacionalen Statističeski Institut, «Etnodemografska harakteristika...», op.cit.
47  Voir Dia Anagnostou, op. cit., p. 89-111.
48  Ibid., p.956.
49  Cf. Valeri Stojanov, op. cit., pp.160-214 ; Amnesty International, Bulgaria: Emprisonment of Ethnic Turks. Human Rights Abuses during the Forced Assimilation of the Ethnic Turkish Community, London, Amnesty International, 1986; Helsinki Watch, Destroying Ethnic Identity. The Bulgarian Turks. London, Helsinki Watch Report, juin 1986; Hugh Poulton, The Balkans: Minorities and State in Conflict, London, Minority Rights Group Publications, 1991, chap.9.
50  Cf. Nadège Ragaru, «Chronique bibliographique», CEMOTI, 26, 1998, pp.309-324.
51  Voir Helsinki Watch, op. cit, pp.24-28.
52  Voir Valeri Stojanov, op.cit., pp.201-205; Hugh Poulton, op.cit., chap.11.
53  L’évaluation du nombre des émigrants oscille, selon les sources, entre 300 000 et 340 000. Le chiffre retenu ici est emprunté à Stefan Troebst, «Nationalismus vs. Demokratie: Der Fall Bulgarien » [Nationalisme contre démocratie: le cas de la Bulgarie], in: Margareta Mommsen (dir), Nationalismus in Osteuropa. Gefahrvolle Wege in die Demokratie [Le nationalisme en Europe de l’Est. Le chemin plein de danger de la démocratie],Munich, C.H. Beck Verlag, 1992, p.177.
54  Pour remercier les autorités roumaines de l’appui accordé en 1956, János Kádár officialise lors de sa visite à Bucarest en 1958 «le renoncement de la Hongrie à toute prétention territoriale envers la Roumanie». Cf. François Fejto, Histoire des démocraties populaires. Après Staline 1953-1979, tome 2, Paris, Seuil, 1969, p.139.
55  Nándor Bárdi, «Hungary and the Hungarians Living Abroad: A Historical Outline», Regio Yearbook, 2003, pp. 121-138.
56  Elle recueille 8,6% des suffrages aux élections du 19 novembre 1946, soit à peu près le poids de la population hongroise de Roumanie. Cf. Lucian Nastasǎ, «Studiu introductiv» [Etude introductive], in: Andreea Andreescu, Lucian Nastasǎ, Andrea Varga (eds), Minorităţi etnoculturale. Mǎrturii documentare. Maghiarii din România (1956-1968) [Minorités ethnoculturelles. Témoignages documentaires. Les Magyars de Roumanie], Cluj, Centrul de Resurse pentru diversitate etnoculturala, 2003, pp.11-67, p.17.
57  Les Magyars représentent 19,2% des effectifs du Parti communiste roumain en juillet 1945, 11% en 1948. Cf. «Situatia minoritǎtilor nationale. Maghiarii» [La situation des minorités nationales. Les Magyars], à l’adresse: http:// adatbank.transindex.ro/html/cim_dok472.doc [consultée le 2 janvier 2007]
58  Installés dans les montagnes de la Transylvanie orientale, occupant à partir du XIIIe siècle la fonction de garde-frontières du Royaume hongrois, les guerriers sicules constituèrent une population distincte au Moyen Age, dotée de structures politiques et sociales propres. À partir de la fin du XVIIIe siècle, les élites sicules ont promu une identification culturelle et politique à la nation hongroise, en continuant néanmoins à cultiver un sens de la différence à travers la valorisation de traditions égalitaires.
59  Cf. Stefano Bottoni, «The Creation of the Hungarian Autonomius Region in Romania (1952): Premises and Consequences», Regio. Minorities, Politics, Society, 2003, pp.71-93; József Gagyi, «Magyar Autonóm Tartomány: egy centralizációs kisérlet » [La région autonome magyare: une tentative de centralisation], in: Csilla Fedinec (ed.), Nemzet a társadalomban, Budapest, Fondation Teleki Laszló, 2004, pp.173-190.
60  Elle passe de 39,7% en 1948 et à 13% en 1992. Cf. «Situaţia minoritǎţilor naţionale. Maghiarii».
61  Stefano Bottoni, «Recepció és párhuzamosság. A romániai ’56 és a magyar forradalom viszonya» [Réception et parallélisme. ’56 en Roumanie et la révolution hongroise], Korunk, février 2006, à l’adresse: http://www.korunk.org/oldal.php?ev=2006&honap=2&cikk=1529 [consultée le 23 août 2006]
62  En 1958-1959, l’Université Bolyai compte 2 470 étudiants magyars. En 1989-1990, l’Université bilingue Babeş-Bolyai forme 661 étudiants hongrois.
63  József Gagyi, «És miként a fának szerves tartozéka…» [Comme les réserves naturelles de l’arbre...], Beszélö, 11, novembre 1997, à l’adresse: http://beszelo.c3.hu/97/11/17.htm [consultée le 25 août 2006]; Zsombor Csata, «A politikai-adminisztratív elit változásai Csíkszeredában (1968-2000)» [Les modifications de l’élite politico-administrative de Miercurea-Ciuc (1968-2000)], Magyar Kisebbség, 7 (1), 2002, à l’adresse: http://www.hhrf.org/magyarkisebbseg/0201/m020123.htm [consultée le 23 août 2006]
64  Entre 1956 et 1992, le nombre des juifs passe de 146 264 à 8 955. De 359 109 Allemands comptés par le recensement de 1977, l’on passe à 119 462 en 1992. Cf. Árpád E.Varga, «Erdély magyar népessége 1870-1995 között . Táblamellékletek» [La population hongroise de Transylvanie entre 1870-1995], à l’adresse: http://www.kia.hu/konyvtar/erdely/tablam.htm [consultée le 23 août 2006]
65  Cf. István Horváth, «A migráció hatása a népesség elöszámítására» [Les effets des migrations sur le décompte de la population], Magyar Kisebbség [Kolozsvár], 7, n°4 (26), 2002, à l’adresse: http://www.hhrf.org/magyarkisebbseg/m020403.html [consultée le 23 août 2006]
66  Irina Culic, «Dilemmas of Belonging: Hungarians from Romania», Nationalities Papers, 34 (2), mai 2006, pp.175-200.


ANTONELA CAPELLE-POGACEAN
- chargée de recherche FNSP/CERI. A absolvit INALCO (DEA d’Etudes slaves et est-européennes) şi Universitatea Babeş-Bolyai din Cluj-Napoca. Doctor în ştiinţe politice al IEP Paris. Memebră în comitetele de redacţie ale revistelor Balkanologie şi Critique internationale. A publicat numeroase articole pe teme privind politica din ţările Europei de Est şi Balcani..
Nadège RAGARU - absolventă a IEP (l’Institut d’études politiques) Paris. Reid Hall Fellow al Universităţii (1999-2000), deţine un Master of International Affairs (USC, Etats-Unis, 1994) şi un DEA de studii sovietice şi europene. Responsabilă a rubricii «Lectures» din revista Critique internationale, membră a redacţiei revistei Balkanologie et CEMOTI. A publicat numeroase articole privind politica ţărilor din Europa de Est şi Balcani.

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